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  1. Première chose, les citoyens doivent s'occuper de la politique. À force de penser que la politique ne nous concerne pas, on en oublie que la politique s'occupe de nous au quotidien. On pourrait tout à fait imaginer qu'une partie de la population – la plus aisée – fasse demain sécession au nom d’une privation des biens et des infrastructures collectives, comme dans certaines villes privées aux Etats-Unis ou en Asie. On retrouve cette tentation dans le discours des contribuables fortunés qui pratiquent l'évasion fiscale. À l'inverse existe un rêve d’établissement de communautés exclusivement locales, comme les ZAD (zones à défendre), des contre-sociétés s’excluant de la société capitaliste. Qu’est-ce qui périt dans ces deux formes d’alternatives ? L’idée de la démocratie, c’est-à-dire la réflexion autour du Commun, l'idée que l'intérêt général est supérieur à l'intérêt particulier.

    La première chose, c'est de se mettre à bonne distance de la politique. Il faut sortir du feuilleton qu'est devenu la politique et qui consiste en des prises de positions « pour » ou « contre » sur tous les sujets. Il faut arrêter de penser que la politique se limite à un groupe d'individus isolés qui ont confisqué le pouvoir. La deuxième chose, aussi bien en France qu'ailleurs, serait de faire sauter le verrou institutionnel. Les institutions constituent la première façon d'empêcher les citoyens de s'occuper de politique. Ce n’est pas s’occuper de politique que de voter une fois tous les 5 ans.

    Ensuite, il faut aussi désentimentaliser la promesse de la politique. Le philosophe espagnol Daniel Innerarity disait que « la démocratie, c'est le règne de la déception ». C’est ce qu’on vous dit quand vous êtes enfant : on ne peut pas avoir toujours tout ce qu’on veut. J'ai le sentiment que nous, citoyens, sommes dans une forme d'infantilisation qui exige de tout avoir, et tout de suite. Il est alors facile d’accabler les acteurs politiques parce qu'ils ne nous donnent pas tout. Il est essentiel de se mettre à distance de ces illusions, par ailleurs entretenues par les acteurs politiques. De cesser de leur attribuer un pouvoir qu'ils n'ont pas. De ne pas être dupe du spectacle de la politique.

    Comment fait-on alors pour porter des ambitions politiques au sens large, pour les pousser dans la vie politique et contraindre les acteurs politiques à nous entendre ? Ces jeunes gens, qui sont lycéens et qui vont tous les vendredis marcher pour le climat, doivent nous donner du courage. Et en même temps, une grande partie d’entre eux n’est pas allé voter aux élections européennes. Notamment pour des raisons de verrou institutionnel, et je les comprends. Il existe de la part des citoyens une forme de dégoût vis-à-vis de la politique dont il faut s'affranchir.

    De toutes les démocraties occidentales, la France est celle qui donne le plus de pouvoir à son chef de l'État. Le fantasme de la démocratie des meilleurs, portée par Emmanuel Macron - soit l’idée qu'il faut mettre en place un consensus de l'action politique - est une impasse absolue. Le Grand débat n’est pas un débat à égalité entre le chef de l'État, le gouvernement et le citoyen. Il consiste en l’émission de cahiers de doléances auquel le chef de l’État prétend répondre dans une forme de clientélisme un peu archaïque. Il faut recréer la capacité pour les citoyens de délibérer ensemble. On pourrait imaginer abaisser le rôle du président de la République et de renforcer le pouvoir du Premier ministre en tant que responsable de la majorité parlementaire. On pourrait aussi imaginer la création d’autorités indépendantes, des assemblées citoyennes avec de réels pouvoirs.

    Pourquoi pas par tirage au sort ? Ces instances pourraient avoir des pouvoirs contraignants sur l'exécutif. Par exemple, elles pourraient statuer sur un certain nombre de demandes de référendums d'initiative citoyenne ou sur un vote sur des sujets tels que l’écologie, les rapports entre monde économique et politique. Nos sociétés doivent faire le pari de l’intelligence collective, qui est seule à même de nous sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes.

    Une autre piste : on pourrait imaginer que, dans les banques ou dans les industries dont on considère qu'elles sont d'intérêt national et qui sont des structures dont dépendent nos vies, l'État pourrait déléguer un représentant pour siéger dans un conseil d'administration, y compris dans les structures dans lesquelles il n'a pas de part. Ce serait une forme de contrôle citoyen de décision économique. Aucune personnalité du monde politique ne défend cette idée, et pourtant si vous soumettiez cette idée à référendum, je ne serais pas surpris qu'elle recueille un fort assentiment.

    L’obsession des Trente Glorieuses, dont on fait une norme, alors que cette période de prospérité a constitué une exception, nous empêche de penser le présent et l’avenir selon de nouveaux termes. Un Français né en 1950 fait partie d’une génération d'êtres humains qui a connu le plus haut niveau de bien-être et de prospérité de toute l'histoire de l'humanité. Et cela a eu un coût, notamment pour la planète. Cette image de croissance illimitée, de plein emploi, d'obsession frénétique pour le travail, ce monde dans lequel il était formidable d'acquérir du capital et de construire sans tenir compte de notre environnement, ne correspond plus aux urgences du temps. Souhaiter développer une politique pour revenir à ce monde-là, c'est regarder le futur dans un rétroviseur.

    Je fais partie de la génération à qui on disait qu’elle allait faire plusieurs métiers. On nous prédisait une instabilité du travail. « Faites-vous une place », nous disait-on. Les gens qui ont 25 ans aujourd'hui savent que la place qu'on leur propose est mauvaise. Ils n’ont plus rien à perdre. On ne peut plus acheter la maison de ses parents à moins d'en hériter. On sait désormais que le maintien des inégalités structurelles fait que, statistiquement, si vous êtes un fils de pauvre, vous allez rester pauvre.
    https://usbeketrica.com/article/il-fa...-capacite-citoyens-deliberer-ensemble
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