"Quand on voit les réactions actuelles, en France, à l’évolution du prix du carburant, on peut se demander si ce signal d’alarme peut être entendu par les populations de notre planète…
Face à l’urgence climatique, les réactions des gouvernements et des populations seront d’autant plus violentes qu’elles surviendront trop tard, prévoit l’expert de l’énergie François Dauphin dans une tribune au « Monde ».
Tribune. Les experts climat de l’ONU ont publié, le 8 octobre, un nouveau rapport évaluant les dégâts environnementaux et économiques que l’accumulation des gaz à effet de serre s’apprête à engendrer. Ce rapport se termine sur les recommandations habituelles et met l’accent sur l’urgence de voir diminuer nos émissions de CO2 d’au moins 45 % d’ici à 2030 et d’arriver dès 2050 à une neutralité carbone complète.
Une enquête lancée par l’ONU et la Fondation Bill Gates auprès de 3 000 décideurs des pays émergents (« Listening to Leaders 2018 : Is development cooperation tuned-in or tone-deaf ? », AidData, mai 2018) offre un éclairage intéressant. Selon cette étude, la problématique climatique n’arrive qu’en 14e position sur 16 dans la liste des priorités des leaders gouvernementaux. Ils ne font en cela que refléter l’opinion de leurs administrés, pour qui la problématique climatique apparaît en dernière position, bien après la sécurité, la santé, l’accès à la nourriture et à l’eau.
L’écueil est énorme, car selon une étude publiée en 2017 par le Boston Consulting Group, plus des deux tiers des investissements qui permettraient d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris concernent les pays émergents. Un tel effort est insoutenable sans l’aide des pays développés. Le mécanisme de soutien décidé lors de la conférence de Copenhague n’a jamais été réellement mis en œuvre. A l’échelle mondiale comme sur le plan national, les plus défavorisés ne peuvent pas entendre parler de lutte contre le réchauffement climatique.
Décennies perdues
Compte tenu de cette situation, les dirigeants des pays développés sont dans une voie sans issue. D’un côté, ils vont voir la concentration en CO2 continuer d’augmenter et, de l’autre, une frange de plus en plus importante de leurs administrés, affectés par les conséquences du réchauffement climatique, va faire pression pour s’en protéger. Que vont-ils faire ?
Lors de la décennie à venir, il est probable que leur premier réflexe sera de bannir l’usage des technologies fortement émettrices et pour lesquelles il existe des moyens de substitution abordables. De grands accords mondiaux interdisant les centrales électriques au charbon, les moteurs diesel pour les bateaux ou les chaudières au fioul seront annoncés comme de grands pas en avant… alors que toutes ces mesures auraient pu être prises il y a trois décennies au moins. Autant d’annonces qui auront plus pour objectif de calmer la population que d’agir efficacement sur les émissions de gaz à effet de serre. Ce sera la décennie des bureaux de contrôle… et des conseils en communication.
« La population des pays développés, affectée par les canicules et excédée par les vagues de migrants quittant des zones devenues inhabitables, commencera à donner sérieusement de la voix »
Ces premiers pas seront insuffisants, et la décennie suivante sera consacrée à réformer les industries pour lesquelles des moyens de substitution existent mais ne peuvent être mis en œuvre sans prendre le risque de mettre en péril des dizaines de milliers d’emplois. L’automobile est le premier exemple qui vient en tête. Pour ce secteur, comme vient de le décréter la Chine et comme l’Europe l’envisage, des quotas seront mis en place pour une transition administrée. Ce sera la décennie des ingénieurs et des sociétés spécialisées en fusions et acquisitions. Ces évolutions seront beaucoup trop tardives. Malgré celles-ci, la population des pays développés, affectée par les canicules et excédée par les vagues de migrants quittant des zones devenues inhabitables, commencera à donner sérieusement de la voix.
Conflits géopolitiques
Face à la pression de la rue, les politiciens seront sommés d’engager une décennie d’obsolescence planifiée. L’impérieuse nécessité de ne pas perdre totalement le contrôle du climat permettra aux gouvernements de légiférer en faveur d’un recyclage des millions d’équipements produits et commercialisés à mauvais escient depuis la signature du protocole de Tokyo… Autant de milliards d’investissements qui feront la fortune des ferrailleurs ! Les centrales à charbon de plus de trente ans et les voitures à pétrole seront sommées de prendre leur retraite au profit de technologies « responsables ». Il n’est pas improbable que des conflits géopolitiques puissent surgir de ce besoin impérieux de résultats.
Ces mesures seront hélas inutiles en l’absence d’une reconsidération du mode de développement de notre civilisation. Dans les faits, seule une analyse globale systémique, visant à définir un nouvel « espace global de fonctionnement sécurisé » (« Operationalizing Sustainability as a Safe Policy Space », Lauriane Mouysset, Luc Doyen, François Léger, Frédéric Jiguet et Tim Benton, MDPI, octobre 2018), tenant compte des limites physiques que nous impose notre planète, a une réelle chance d’aboutir.
« Le plus probable, dans quatre décennies, est que le changement climatique sera devenu l’une des priorités directes des hommes, tant celui-ci affectera leurs besoins essentiels »
Alors qu’adviendra-t-il des Homo sapiens dans quatre décennies ? Le plus probable, à cette échéance, est que le changement climatique sera devenu l’une de leur priorité directe tant celui-ci affectera leurs besoins essentiels. Ils s’adapteront à leur nouvel environnement en utilisant les formidables progrès technologiques que l’humanité va produire d’ici là et en redéfinissant leurs priorités. Ils revisiteront les étages de la pyramide des besoins de Maslow pour chercher à assurer leur sécurité, à trouver de quoi se nourrir et de quoi boire !
François Dauphin (Expert de l’énergie dans une entreprise de service)"
https://www.lemonde.fr/idees/article/...ir-et-de-quoi-boire_5387243_3232.html
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