Le célèbre flegme de l’aristocratie britannique présente également des proximités avec le Cool, comme l’ironie romantique des poètes du XIXè siècle. Il existe aussi un rapport entre le cool et le machisme des cultures hispaniques, qui met l’accent sur l’apparence et cultive un esprit aventureux qui flirte avec la mort, esprit symbolisé par le torero. L’éthique des samouraïs du Japon présente également cette dualité entre le masque de la froideur et le bouillonnement intérieur.
Le verbe s’est ainsi à la fois chargé d’un imaginaire hédoniste tout en décrivant des comportements de rafraîchissement, de sortie, d’excitations et de passions, pour adopter à un comportement moins empressé, plus réfléchi, au moins en apparence. L’ironie cool et l’hédonisme sont restés les prérogatives des artistes de cabaret, des gangsters prétentieux et des riches mondains, tous des décadents décrits par Christopher Isherwood dans « Adieu à Berlin » et par Scott Fitzgerald dans « Gatsby le Magnifique »…
Après la guerre, être « cool » ou « hip » voulait dire hanter les bars, avoir des aventures sexuelles, cultiver un certain égocentrisme narcissique et refuser d’endosser la camisole mentale des causes idéologiques. Dans les années 60 et 70, la posture du Cool devient une référence, une norme implicite des beatniks de ceux qui réclament le retour à la nature et condamnent l’establishment. Dans cette perspective, l’adjectif « cool » devient paradoxalement le synonyme de « sain, sans danger, le contraire de « fou » (Poutain, Robins, 2001). De même, les jeunes noirs et latinos des grandes cités voient dans la posture cool un moyen de défense de l’intégrité individuelle dans un monde où ils sont régulièrement méprisés ou sous évalués. La posture cool soutient donc une fois de plus dans une logique de provocation, de « contre-culture » même si elle finit par s’ériger elle-même en norme.
L’évolution de ces dernières années marque enfin un nouveau tournant dans l’évolution des contenus comportementaux de la posture cool. Le sentimentalisme exacerbé, la sensiblerie autrefois incompatible avec le détachement affectif de la posture cool sont devenus au contraire, une de ses modalités d’expression. Une fois de plus, il s’agit d’apparaître détaché des convenances, des contraintes sociales. Le jeu insouciant avec les limites s’est à nouveau emparé d’exigences traditionnelles qu’il a pris à contrepied, ici celles de la pudeur, du voilement de l’intime tant sur le plan corporel que psychologique (ouvrage pudeur). Ce jeu de dévoilement a favorisé la promotion de l’authenticité comme une valeur au point de susciter une surenchère de mise en scène de ce qui est « original », dévoilé, voire « limite vulgaire » (Sirven, Tretiack, 2008).
Le narcissisme est centrage sur soi, sur son image, qu’elle soit positive ou négative. Le sujet moderne est encouragé à cultiver ce regard jusqu’à la fascination des autres et de soi. Le détachement ironique est un stratagème pour dissimuler un sentiment en affichant son contraire (e.g., feindre l’ennui face au danger, l’amusement face à l’insulte). Le masque cool cache la rage impuissante. Il n’est pas rare que celui qui cherche à mettre en scène une telle sérénité cherche à masquer un profond désordre intérieur. L’hédonisme quant à lui relève d’un jeu permanent avec les limites réelles et sociales, d’un plaisir transgressif. Ce plaisir peut confiner à l’orgie, au flirt insouciant avec la mort, à la maîtrise de ce qui sépare, est cause de perte et d’angoisse). Au service d’un narcissisme toutpuissant, il vise à démontrer au sujet qu’il échappe à la mort.
La posture cool et les pratiques de consommation qui alimentent sa mise en scène semblent de ce fait relever d’une double logique de retrait / protection affective (Stearns, 1994) à l’égard des regards d’un côté, et d’ostentation / domination visuelle de l’autre. Les objets eux-mêmes qui soutiennent ce double-jeu ne sontils pas investis d’une relation ambivalente, tant ils servent à la distanciation et à la domination, tant ils enferment le sujet dans une dépendance, une quête de l’originalité qui confine parfois à l’hyper-conformisme ? La quête d’insouciance, d’affranchissement des contraintes, au cœur du comportement cool, peut ainsi tantôt alimenter des comportements consuméristes de protection / domination du regard, ou, au contraire, susciter un détachement de cette mise à l’épreuve permanente de l’image personnelle.
Dernier exemple portant sur une pratique de consommation émergente très emblématique de la coolitude : la possession jetable. Il y a fort longtemps que l’on peut louer toutes sortes d’objets : perceuses, décolleuses de papier peint etc… mais www. flexpet. com permet de louer… des chiens pour quelques heures, quelques jours… Il suffit de réserver à l’avance, le toutou vous sera livré avec tous les accessoires : coussin, gamelle, croquettes et laisse. C’est certainement cool de tirer en laisse un labrador le temps d’une ballade en forêt ou de porter un chihuahua pour une soirée branchée, mais on peut s’interroger sur cette tendance à vouloir mettre en scène sa possession sans en avoir les inconvénients. La coolitude, c’est se désimpliquer, le consommateur cool joue avec l’offre comme le chat avec la souris, plus le produit est réputé impliquant, plus il a des chances d’exercer une attraction pour la coolitude.
https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2008-5-page-18.htm#
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